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mise en images et interaction avec le texte

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Là où s'arrêtent les documentaires sur le sujet, c'est à dire à l'énoncé d'une découverte (" Copernic fut le premier à mettre en doute…. "), c'est là que Peter Sís entre en scène. Et sans doute le terme n'est-il pas trop fort : il s'agit bien de mettre en scène les singularités d'un destin, d'en éclairer les coulisses comme autant de tableaux, de dévoiler les étapes d'une réflexion et les découvertes qui en découlent, de dramatiser ce qu'il y a d'exceptionnel dans la vie et l'œuvre de Galilée. On comprend que l'illustrateur ait placé le parcours de Galilée et son conflit avec l'Eglise romaine sous le signe de la tragédie shakespearienne, parce qu'il y a bien quelque chose de théâtral dans ce personnage-là. L'illustration se met au service de ces effets de dramatisation.

Cercles et carrés
Le discours didactique s'organise de manière très simple, dans la succession de tableaux où le lecteur reconnaîtra sans peine la marque de Peter Sís. Les tableaux ici utilisent toutes les ressources de deux figures, celles du cercle et du carré :
d'une part le cercle que forment la terre, le soleil et les différents astres, dans les cartes anciennes ou nouvelles, et le cercle du zodiaque et du ciel étoilé,

  • mais aussi le cercle du théâtre mondain dans lequel Galilée met en scène ses découvertes,
  • le cercle, l'arène, du tribunal inquisitorial devant lequel il comparaît,
  • le cercle enfin de l'enfermement auquel il est condamné, murailles qui semblent une tête humaine, îlot du savoir dans la nuit de l'ignorance, cercle éclairé des dessins géométriques interrogés par le savant dont la cécité nargue la surveillance des espions à l'intérieur, des gardes à l'extérieur…


d'autre part le carré du cadre qui contient toutes ces représentations,

  • mais aussi le carré de la carte de l'Europe politique du XVI° siècle et le carré des murailles de la ville qui enferment les jeux des enfants,
  • le carré (les carrés) des premières observations scientifiques,
  • le carré enfin des murs de la prison.


Sur une page ou sur une double page, l'illustration joue de la dialectique entre ces deux figures, et de la complémentarité des éléments annexes (cercles secondaires apportant précisions et illustrations), jusqu'au moment où le cadre se brise : de la foule des spectateurs témoins du triomphe des thèses galiléennes ne subsistent que des objets épars, l'astronome est seul face au messager armé de pied en cap, et sur le théâtre déserté tombent l'ombre de l'aigle et la menace de la prison Saint Ange.
Ajoutons que dans les marges se lisent d'autres informations ou suggestions : dans les doubles pages de garde et de sortie, les marges offrent une diversité d'estampilles et de dessins qui signifient deux états de la connaissance et du rapport des hommes aux étoiles. Dans le tableau des jeux enfantins, on aura noté, au pied des murailles figurées, les cavalcades et les processions.

Le temps immobile
Peter Sís reprend les cartes des systèmes de Ptolémée et de Copernic, tels que le XVI° siècle les avait fixés, en ajoutant, en quelque sorte dans les marges, ses commentaires personnels : d'un côté, la représentation des mondes grec et babylonien (avec, dans les angles, le temple et la ziggourat hélicoïdale), et de l'autre l'allégorie de la Science, sous les traits d'une femme aux yeux bandés, et la mort d'un Copernic prudent, sous la menace de la Camarde.

A l'extérieur de ces tableaux, une règle graduée semble égrener un temps immobile, la succession des siècles, le défilé des savants et philosophes antiques, d'Eudoxe à Archimède, le saut dans le vide de la pensée scientifique jusqu'à Copernic. A partir de quoi, l'Histoire peut se remettre en marche et à nouveau s'écrire. La même règle graduée réapparaît dans la dernière page, pour signifier l'écoulement du temps entre la mort de Galilée (1642) et sa réhabilitation par l'Eglise (1992). Entre les deux immobilités, toute l'attention du lecteur est attirée sur le destin d'un individu, peu à peu dégagé des contraintes qui l'enserrent.

On a dit que tous les personnages de Peter Sís étaient des explorateurs, que tous ses livres étaient " traversés par une thématique commune : celle de la frontière à franchir : ils partent découvrir l'autre côté des montagnes, l'île des dragons, l'Amérique ou la mécanique des planètes, le monde arctique, un territoire de l'enfance ou l'univers tibétain… " (Pierre Sève). Dans le système ancien ou nouveau, tout semble fixé d'avance, d'où l'importance que prennent dans ces cartes la représentation des signes du zodiaque et la croyance qu'ils déterminent le destin de chacun. Dans la carte politique de l'Italie, les divisions des états semblent élever des frontières immuables, sur lesquelles veillent des princes en armes. Galilée n'est qu'un parmi tous les enfants qui naissent cette année-là et dont les langes s'ornent de l'image du métier qu'ils exerceront plus tard, comme il n'est qu'un parmi tous ceux qui jouent aux multiples jeux du temps. Il n'est qu'un parmi les fidèles réunis dans l'église de Pise, le seul à s'intéresser aux oscillations de la lampe au-dessus de lui. Sans doute est-il marqué sur son lange par le signe d'une curiosité singulière, comme il est séparé des autres, à la page suivante, par la " curiosité d'esprit " qui le porte à s'intéresser à d'autres jeux. Mais il lui faut rompre l'enfermement dans les murailles d'une ville, il faut que s'ouvrent pour lui d'autres chemins à travers l'Europe (et quelle Europe hérissée de dangers !) pour qu'une invention pratique parvienne jusqu'à lui et qu'il puisse y appliquer la rigueur expérimentale. C'est seulement alors que les têtes se tournent vers lui, comme aux pieds de la Tour de Pise ou de la chaire de l'Université. Le temps et le monde cessent d'être immobiles.

Fantasmagories
Comme l'océan des contemporains de Colomb était habité de monstres menaçants, la voûte céleste, au temps de Galilée, était-elle aussi peuplée de créatures légendaires dont les astrologues, depuis les Chinois et les Mésopotamiens, avaient composé le bestiaire fantastique. On comprend qu'elles aient séduit Peter Sís, qui, d'album en album, en explore la diversité et le pouvoir de suggestion.

On partira des pages de couverture : ces fantasmagories s'étalent sur les parois du balcon à partir duquel Galilée braque sa lunette en direction de la lune. Alors que Kepler, découvreur de l'orbite elliptique des planètes, pouvait encore croire en l'existence de monstres sur la lune, Galilée ose affirmer, à partir de ses observations : " la galaxie n'est en fait rien d'autre qu'un amas d'innombrables étoiles ". La double page qui rapporte les observations sur la surface lunaire et les conclusions que l'astronome en tire, organise, autour de la dominante bleue du ciel nocturne, une série de croquis du sol lunaire, sur lesquels la main du savant peut pointer non pas l'étrangeté, mais au contraire la ressemblance avec les phénomènes naturels les mieux connus. Sur cette double page, comme sur les pages suivantes, le travail d'observation vise à mettre en relation les images, reprises des ouvrages de l'astronome, avec les extraits retenus. Travail d'observation précise, lexicale (" discussions, discours sans fin… ", " expériences " et " observer "…) et syntaxique (" rien d'autre que… ", " je sais mieux ce que les taches solaires ne sont pas que… ", " il est beaucoup plus difficile de découvrir la vérité que… ", " je ne doute pas que… ") qui seul permet d'approcher la compréhension d'une démarche expérimentale.

Les fantasmagories réapparaissent (" le sommeil de la raison engendre des monstres ", disait Goya) dans la solitude de la prison, hallucinations du reclus, mais aussi terribles images des tortures et des châtiments réservés aux hérétiques. Il faudra retrouver, dans les pages précédentes, la préfiguration du serpent qui encercle le prisonnier, et qui, simple ornement d'abord, s'épaissit et s'insinue au fur et à mesure que les soupçons s'étoffent.
Elles sont encore présentes dans l'arène du procès, entourant de leurs attributs menaçants (signes du zodiaque hérissés de cornes, faux de la mort) le savant seul au milieu de ses juges vêtus de la pourpre cardinalice, comme si la condamnation attendue réveillait les figures de la superstition.

Lorsque la dernière page reproduit la carte du ciel, telle que nous la connaissons aujourd'hui, les figures monstrueuses ne sont plus que la figuration légendaire ou mythologique des constellations que nous avons appris à mieux connaître. Les images annexes rapprochent la réhabilitation de Galilée et la sonde qui porte son nom. Entre les pages de garde où, sur le bleu du ciel nocturne, dans le paysage d'une cité de la Renaissance italienne, avec ses tours et ses coupoles, reste allumée la chambre du savant, et la double page de sortie où, dans le paysage d'une ville moderne, avec ses gratte-ciel, l'observation se poursuit, la pensée scientifique a continué à scruter le ciel et à dissiper les erreurs.

Last modified 2007-01-08 10:54