Le récit du rêve
"L’expérience onirique humaine" s’exprime au quotidien à travers les résumés ou les récits qu’en donnent les rêveurs, réélaborant pour l’interlocuteur un contenu symbolique abrégé formé d’émotions, d’impressions, de sensations, d’images, de paroles associées, généré par les désirs ou les angoisses du sujet. Le contenu du rêve – les beaux rêves comme les cauchemars - n’est jamais neutre pour le rêveur même s’il lui apparaît toujours étrange et ne reflétant pas la réalité. Le rêve se réalisant à l’insu du sujet au cours du sommeil émerge à la conscience puis est retravaillé par le filtre des formes culturelles présentes ou disponibles chez le rêveur dans les genres narratifs oraux, dans les échanges quotidiens ou spécifiques (chez le psychanalyste). L’écrivain comme le plasticien peuvent être tentés, à partir de leur expérience de rêveur et de leurs connaissances de la place du rêve dans la culture, d’insérer l’expérience onirique dans leurs œuvres, développant des esthétiques et des symboliques particulières.
Du point de vue pédagogique, les jeunes lecteurs devront mobiliser leur propre expérience de rêveur afin de comprendre la place et la fonction du rêve dans le récit, du point de vue du personnage qui agit.
Ainsi, dans Je mangerais bien une souris , Nono le chat ne sait pas ce que sont les souris et rêve d’en manger une. Dès la PS, cet album peut être mis en œuvre à condition de permettre la mise en relation de l’expérience personnelle du lecteur et sa transposition à travers les formes symboliques - bulles empruntées à la BD - et connaissances du monde « un chat, ça mange des souris »…
L’heure des parents , raconte le rêve de Camille, un lionceau attendant ses parents à l’école maternelle. Le rêve centré sur la recherche de parents inventorie les modèles parentaux possibles dans la société actuelle avant que le héros retrouve sa famille réelle et le confort de la maison dont les accessoires constituent des matériaux pour le rêve de Camille. Œuvre parfois rejetée par les enseignants sous le prétexte qu’elle donne à voir des configurations familiales peu fréquentes et dérogeant aux normes, cet album a le mérite de le faire sous la forme narrative du rêve qui laisse le lecteur libre de tout jugement moral. Camille rêve mais en fait ce lionceau a une famille traditionnelle dans la fiction. La lecture au sein de la constellation « récits de rêve(s) » à l’école maternelle ou en GS/CP permet la distanciation et le travail de symbolisation personnelle du contenu thématique que le maître n’engagera pas collectivement dès lors que les élèves ne l’évoqueront pas..
Dans Baisers de papier (dès le cycle 1), le rêve se matérialise dans les baisers de papier imaginés par Rébecca. Elle rêve qu'en tournant les pages du livre le chat et la souris se font un baiser, et aussi le voisin et la voisine…
La fonction de la lecture en constellation est d’instrumenter la lecture des élèves de manière à ce qu’ils repèrent les récits de rêve(s) et adoptent une posture pertinente.
Depuis la maternelle, les élèves seront conduits à repérer et identifier ces « récits dans le récit » qui racontent un rêve mais aussi une rêverie ou un jeu. Le processus de passage d’un niveau de la fiction à un autre se réalise, dans les albums, autant par le texte que par l’image et abuse provisoirement le lecteur selon son degré de familiarité (de culture) avec ce jeu littéraire. Le déclenchement du rêve est plus ou moins caché. Parfois selon les choix narratifs, la « réalité » du rêve n’apparaît qu’à la fin de l’album.