Skip to content

Site Web de l'ONL

Sections
Personal tools
Search box
 

En Savoir Plus

Document Actions

Gilles de ROBIEN
Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,


La langue française est notre trésor commun.

C’est tellement vrai, que sans elle, nous ne pourrions pas même exprimer nos différends.

Car si les opinions peuvent diverger, les avis différer, les arguments s’opposer, ils ne le peuvent qu’à condition de partager la même langue.

Bref, la langue française, c’est encore ce que nous partageons, même quand nous ne sommes d’accord sur rien !

Nous parlons par elle, nous pensons en elle, tant et si bien qu’elle nous apparaît comme quelque chose d’aussi naturel que l’air que nous respirons.

Elle réussit le miracle de transformer la culture en quasi-nature.

Mais comme nous sommes souvent négligents envers la nature, nous le sommes tout autant envers la langue.

Parce que nous voulons aller plus vite, nous l’abrégeons, nous la simplifions à outrance, nous oublions ses règles qui nous semblent d’insupportables contraintes.

Et il nous semble que tout cela ne prête pas à conséquence, puisqu’il se trouve, après tout, quelques livres pour garder la mémoire des dogmes de la grammaire et de l’orthographe !

Mais la langue a besoin elle aussi de protecteurs attentifs.

Inutile de vous dire que l’Ecole joue un rôle de première importance pour préserver notre langue.

Car sa bonne tenue sera garantie pour des années si nous parvenons à donner aux jeunes de notre pays, un savoir de base en grammaire et en orthographe suffisamment fort pour résister à des modes d’expression qui s’accommodent de la négligence parce qu’ils transmettent des messages brefs qui ne laissent, au bout du compte, aucune trace.

Il ne s’agit pas de condamner les « textos », « SMS » et autres courriels ! Ils sont de notre temps et nous les utilisons tous avec les mêmes facilités !

Mais, nous devons aussi veiller à notre langue : celle qui nous permet d’inscrire nos pensées les plus fugaces dans la durée et l’universalité de l’écrit.

Pour cela, nous n’avons pas d’autres voies que celle d’ancrer solidement dans les têtes et les coeurs de nos enfants ses règles et aussi ses beautés.


Voilà pourquoi j’ai voulu faire de la maîtrise de la langue française une de mes toutes premières priorités.

D’abord en insistant sur la lecture, dont j’ai voulu que l’apprentissage soit plus conforme à la logique même de la composition du français.

Vous y avez contribué, Monsieur le Président, grâce à votre rapport qui a fondé mes décisions en la matière.

J’ai aussi réformé l’enseignement de la grammaire, pour lui réserver un horaire spécifique, simplifier son vocabulaire, et en faire un enseignement graduel et cohérent.

Le groupe d’experts présidé par le professeur Pierre Brunel et l’inspectrice générale Martine Safra me fera prochainement des propositions d’adaptation des programmes de l’école et du collège, dans le droit fil de la circulaire que je viens de signer.

Je dois des remerciements particuliers au Professeur Alain Bentolila, pour son rapport ainsi qu’à Érik Orsenna et à Dominique Desmarchelier pour la contribution qu’ils y ont apportée.

Après la lecture et la grammaire, vous vous intéressez aujourd’hui au thème de l’écriture.

Et vous avez évidemment raison.

Car la lecture, la grammaire et l’écriture doivent nous faire réfléchir à la valeur de l’exercice dans la maîtrise de la langue française.

Tout le monde trouve normal de défendre la valeur de l’exercice pour le sport.

Si un entraîneur prétendait former des champions de football en donnant comme seule consigne à ses joueurs de visionner les plus beaux matchs de Zinedine Zidane, eh bien, je crois que personne ne donnerait cher de la peau de ses joueurs à la prochaine rencontre.

Revenons donc un peu au bon sens !

Car la maîtrise de la langue, comme celle d’un sport, demande un entraînement régulier, un entraînement progressif, structuré.

Prenons l’exemple de la grammaire. On a voulu l’enseigner par l’« observation réfléchie de la langue ».

Tous les rapports, et notamment ceux de l’Inspection générale, nous montrent que cette approche s’est finalement révélée décevante, justement parce qu’elle n’accordait pas assez de place à l’exercice, à l’entraînement régulier et progressif.

Le mot même d’ « observation » en lui-même ne conduit-il pas à une pédagogie qui, au fond, refuse l’exercice comme discipline d’apprentissage et, au bout du compte, de la pensée ?

En programmant des leçons de grammaire spécifiques, structurées, progressives, sans jargon, je veux rendre à la langue française l’enseignement qu’elle mérite et que méritent nos élèves.

Et je ne rêve pas le moins du monde à l’école d’antan !

Il ne s’agit pas d’affirmer la nécessité d’enseigner la grammaire pour elle-même et de retourner à un formalisme qui a été critiqué en son temps.

Mon objectif est bien la maîtrise de la langue dans l’esprit du socle commun de connaissances et de compétences, pour être capable de comprendre des textes – ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui - pour être capable de parler, pour être capable d’écrire.

Bref, pour maîtriser cette culture scolaire de base essentielle, sans laquelle l’égalité des chances ne serait qu’un slogan et non pas une réalité.

Je suis intimement convaincu que la maîtrise de la langue française est plus que jamais d’actualité.

Je ne parlerais même pas du respect dû à nous-mêmes, à notre pays et à sa culture, qui est déjà à lui seul une raison de veiller avec le plus grand soin à la transmission de la langue. Car notre langue, vivante, sans cesse enrichie par l’apport des générations et des créateurs, fait partie de notre patrimoine.

Mais pour nous en tenir à des considérations purement utilitaires, la maîtrise de la langue est aussi une condition nécessaire de l’emploi de nos jeunes.

Les patrons d’entreprises, les responsables de nos administrations, les inspecteurs de l’Education nationale nous disent eux-mêmes qu’ils se désolent de la baisse du niveau en orthographe !

Alors, oui, un entraînement méthodique et progressif à la maîtrise de la langue est plus que jamais d’actualité. C’est le fondement d’une pédagogie moderne, adaptée aux demandes des parents, aux besoins des élèves et de la société tout entière.

Et pour y parvenir, pour s’approprier les mécanismes de la langue, quel meilleur moyen que l’écriture ?

L’écriture n’est pas seulement une occasion de pratique de la langue, c’est aussi un exercice de réflexion et d’attention, de rigueur intellectuelle, de confrontation avec soi-même.

L’écriture est donc la forme profane du recueillement, dont Michel Butor, récemment honoré par la Bibliothèque nationale de France, rappelait qu’elle pouvait être principe d’unité, colonne vertébrale d’une vie.

Mais avant d’être une vocation, elle est un exercice dont nous devons favoriser la pratique quotidienne chez les élèves, en particulier  à l’école primaire.

J’ai en mémoire, Érik Orsenna, ce que vous disiez récemment à des élèves de CM2 manipulant des compléments, papier et ciseaux en mains, pour faire apparaître la notion de complément essentiel et de complément circonstanciel. Vous avez spontanément dit à la classe, comme un cri du c½ur et de raison que c’était exactement le travail d’artisan que vous vous imposiez tous les jours : construire patiemment des phrases, jusqu’à ce que l’esprit se satisfasse du résultat !

Voilà pourquoi dans l’arrêté du 24 mars 2006 modifiant l’approche de la lecture au cours préparatoire, j’ai souligné que l’apprentissage de la lecture devait comprendre une pratique d’écriture, et même plus précisément, sans échapper à notre jargon, un « travail régulier de production d’écrits ».

Dans la circulaire du 3 janvier 2006, j’ai même rappelé l’exigence dans les programmes d’une pratique quotidienne et conjointe de la lecture et de l’écriture, pendant au moins deux heures.

Lecture, écriture, grammaire : vous voyez que l’idée d’un exercice quotidien et méthodique de la langue fait son chemin, et je pense que tous les amoureux de la langue française doivent s’en réjouir.

Je me suis laissé dire que l’Académie française elle-même avait approuvé cette démarche.  C’est pour moi, je vous l’avoue, un grand bonheur, et un motif de fierté.

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour ajouter une dernière pierre à l’entreprise de consolidation de l’enseignement de la langue française.

Je vous dirai donc un mot de l’apprentissage du vocabulaire.

Car, bien entendu, l’apprentissage de la langue n’est pas fait que de la mémorisation de combinaisons de lettres, ou de règles grammaticales.

Ce n’est pas un simple mécano dont il faudrait apprendre le mode d’emploi.

Et, bien entendu, quand je prône l’apprentissage méthodique des règles, la mise en place d’automatismes, cela ne constitue pas une fin en soi !

Le but ultime, qui implique un souci permanent, c’est évidemment la maîtrise du sens de la langue, de ses nuances, de ses registres, de toute sa puissance de communication et d’expression.

Certains ont voulu critiquer les réformes que j’ai entreprises en insinuant l’idée que la rigueur de l’apprentissage des règles se faisait au détriment du sens.

Cette présentation est évidemment absurde.

Car il n’y a pas d’un côté, le champ austère et stérile des tables de grammaire, et de l’autre, les vertes plaines de l’élève-poète !

La vérité, c’est que l’apprentissage des règles, la création d’automatismes dans le maniement de la langue sont les conditions d’une véritable maîtrise de la langue et finalement de la création du sens.

Et d’ailleurs, le respect des règles, transformé en automatisme, a pour vertu de devenir une seconde nature, et de se faire oublier. Il perd peu à peu sa nature de contrainte.

Inculquer le plus tôt possible aux enfants le respect des règles de la langue, c’est finalement les mettre dans les meilleures conditions de goûter au plaisir de la liberté de celui qui a maîtrisé les règles. C’est le plaisir du virtuose qui peut se concentrer sur la sonorité et l’expression de son jeu parce qu’il a parfaitement intégré la façon de faire des gammes et des arpèges !

Le vocabulaire, c’est bien le complément naturel de l’effort en faveur de l’orthographe, de la lecture et de la grammaire.

Par ailleurs, je crois aussi aux vertus d’une véritable pédagogie du sens des mots.

L’éveil au sens des mots, l’enrichissement du vocabulaire sont d’ailleurs les conditions indispensables de l’apprentissage de la lecture.

J’ai toujours rappelé que l’apprentissage de la lecture au cours préparatoire se fonde sur l’acquis de la maternelle : à savoir l’apprentissage oral d’un vocabulaire de base. C’est la condition sine qua non du mécanisme de base de l’apprentissage de la lecture.

L’acquisition d’un vocabulaire de plus en plus riche doit aussi accompagner les progrès en lecture et en écriture.

Car c’est de cette façon que l’élève pourra progressivement affiner son expression. Là encore, l’apprentissage est, en définitive, non pas un moyen de servir des règles abstraites, mais un moyen de se servir soi-même, de servir sa propre volonté et ses propres intentions.

Voilà  pourquoi je crois utile de prévoir dans les programmes de véritables « leçons de mots », pour permettre aux élèves de s’ouvrir à la richesse du vocabulaire de notre langue, et d’en maîtriser les nuances.

D’abord les nuances des sentiments, qui nous permettent d’exprimer toutes les harmoniques de notre vie intérieure : le contentement, la joie, l’enthousiasme, ou bien la mélancolie, le chagrin, la tristesse.

Ensuite, les nuances du temps – je pense par exemple à cette belle nuance qui distingue le passé proche, « naguère », du passé plus lointain, « jadis ».

Et puis, n’oublions pas les richesses de l’étymologie, qui nous permet de naviguer dans le temps, jusqu’aux origines latines ou grecques de notre langue et de notre culture, et nous ouvre aussi aux subtilités du discours figuré.

Prenons, par l’exemple, l’adjectif « lapidaire » qui vient du mot latin signifiant « pierre ». C’est cette origine, toute concrète, qui nous permet de comprendre la subtile et pourtant très réelle nuance entre une formule « laconique » et une formule « lapidaire ».

Les deux expressions sont presque synonymes, et pourtant la formule « lapidaire » évoque la sécheresse et la brutalité du jet de pierre : une lapidation verbale en quelque sorte.

Vous le voyez, l’enseignement du vocabulaire ouvre un véritable champ d’exploration de la langue, qui peut avoir aussi un côté ludique.

J’ajouterai enfin que les études les plus récentes montrent l’efficacité de l’enseignement direct du vocabulaire, à travers de véritables « leçons de mots ».

 
Professeur Bentolila, vous avez attiré  notre attention sur une communication du professeur Biemiller de l’Université de Toronto lors de la dernière Conférence Nationale sur la Lecture, à Los Angeles.

C’était le 1er décembre dernier. Je cite :

 « On considère communément que les enfants acquerront les mots dont ils ont besoin avec la lecture. Il apparaît nettement que l'enseignement direct [c’est-à-dire les leçons de vocabulaire] fait progresser plus efficacement tous les enfants que lorsqu'ils sont obligés d'inférer [c’est-à-dire de construire le sens par leurs propres moyens]... »

Ce chercheur recommande donc des leçons spécifiques de vocabulaire.

Et forte de recherches récentes, la Californie a prescrit explicitement un  enseignement du vocabulaire aux premiers niveaux de l'école primaire pour 2008.

Bien sûr, nous devons nous garder de la tentation du suivisme aveugle. Mais les conclusions de la recherche la plus récente doivent nous inciter à nous saisir sans tarder de cette question.

Pour ma part, je souhaite donner forme à cette idée de « leçon de mots » en m’appuyant  sur les apports de la recherche.

Monsieur le Président, Monsieur le Professeur, vous avez accepté de réfléchir plus avant à cette question, et je vous en remercie.

J’attends donc vos propositions.

Je prendrai rapidement les mesures nécessaires, en prenant appui sur l’expertise de l’Inspection générale et sur la Direction générale de l’enseignement scolaire, pour donner forme et fond à ces « leçons de vocabulaire ».

Mesdames et Messieurs,

Depuis presque deux ans, l’Éducation nationale s’est mobilisée comme elle ne l’avait pas fait depuis longtemps pour rendre sa force et sa cohérence à l’enseignement des savoirs fondamentaux.

De cet effort sans équivalent depuis des années, la langue française, j’en suis convaincu, ressortira renforcée.

A nous, tous ensemble, de veiller toujours mieux sur elle.
Car son destin, c’est un peu aussi le nôtre.
Je vous remercie.

Last modified 2007-06-11 13:25