En Savoir Plus
Gilles de ROBIEN Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
Madame la Directrice Générale, cher Érik Orsenna,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec joie - et une vive conscience de l’importance de vos travaux - que j’ouvre cette journée consacrée à l’enseignement de l’orthographe et de la grammaire.
J’attache, vous le savez, une grande importance à vos réflexions, et cela d’autant plus qu’à mon sens, elles doivent déboucher sur des décisions concrètes, dans l’intérêt des élèves.
La maîtrise de la langue française est la première mission de l’École. Sans elle, tout s’écroule…
C’est pour cette raison que j’ai pris les décisions que vous connaissez sur l’apprentissage de la lecture. Je l’ai fait en m’appuyant sur les conclusions du rapport que votre Président m’a remis sur la lecture.
Je ne reviendrai pas longuement sur les considérants scientifiques qui ont motivé ma circulaire.
En deux mots : l’enseignement systématique et précoce du déchiffrage est la méthode la plus efficace pour apprendre à lire à un enfant.
Systématique, c'est-à-dire progressive, exhaustive, organisée.
Précoce, c'est-à-dire dès les premiers jours du CP et tout au long des premiers mois. L’efficacité supérieure de cette méthode se révèle encore plus nettement lorsque l’on a affaire à des enfants fragiles ; je pense en particulier à certains élèves de l’éducation prioritaire…
Je crois simplement qu’il fallait que ces choses soient enfin dites une bonne fois, sans toutes les ambiguïtés qui ont semé le trouble dans les récentes années. La question de la lecture ne doit pas relever d’une querelle idéologique, ni d’une querelle de mots.
Sur ces questions, j’attends beaucoup de vos travaux, et je vous renouvelle ma confiance pleine et entière, au service de notre patrimoine le plus précieux : la langue française. Je vous remercie.
Vous l’aurez d’ailleurs compris, il ne s’agit pas d’une « révolution » ! Il s’agit simplement de préconiser la pratique journalière, dès le début du CP, d’activités d’apprentissage systématique des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. Cela implique d’écarter résolument la mémorisation globale précoce de mots entiers, qui ne sont pas lus, mais « devinés ». La lecture par hypothèse doit être écartée résolument. Le but du CP, c’est la lecture précise, certaine, sans erreur qui se fonde sur la maîtrise parfaite du code alphabétique.
Pour que ces consignes pédagogiques soient appliquées dans les meilleures conditions, il faut que les professeurs et les parents puissent se repérer parmi la multitude des manuels de lecture existants. Pour cela, j’ai besoin de votre aide ! C’est pourquoi j’ai demandé à votre président de me remettre d’ici à la fin du mois d’avril une grille de lecture comparative de tous les manuels de lecture actuellement en circulation.
Mais, naturellement, parler de lecture, c’est aussi parler d’écriture. Et parler d’écriture, c’est parler d’orthographe et de grammaire. Sur ces deux questions, j’attends beaucoup de vos travaux.
Aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne : les jeunes connaissent des difficultés croissantes en expression écrite.
Depuis longtemps, on a beaucoup insisté sur l’ « inventivité », sur la « créativité », sur l’ « épanouissement »…Tout cela est bel et bon, mais on l’a fait de manière trop abstraite, sans s’aviser d’un fait très simple : il n’y a pas de créativité, d’invention intéressante sans une maîtrise préalable des règles de l’expression. Et il n’y a pas de maîtrise des règles sans apprentissage systématique.
On ne peut soumettre au « libre choix », à la « créativité » ce qui constitue la condition même de la créativité intellectuelle. Cela revient à scier la branche sur laquelle on est assis. Pour résumer d’un mot ma pensée je rappellerai simplement ceci : Arthur Rimbaud était premier prix du concours général en thème latin. Nous ne ferons pas des Rimbaud sur l’oubli de la grammaire et de l’orthographe !
Il y a nécessairement dans la langue une dimension d’héritage, de tradition - d’arbitraire si l’on veut - qui est absolument indépassable et dont il est illusoire de vouloir faire l’économie.
Et sur ce point, je crois qu’il faut insister : respecter les usages n’est pas seulement une question de correction ou de politesse. C’est beaucoup plus profond.
Ce qui est engagé, c’est tout simplement l’existence de la pensée.
L’orthographe d’abord, c’est déjà beaucoup plus qu’une simple convention ; avoir une bonne orthographe, c’est respecter ce qui fait notre « être en commun » le plus fondamental : la langue. « Ma patrie, disait Albert Camus, c’est la langue française ». L’orthographe c’est aussi la précision de la pensée. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait encore Camus.
Mais lorsque l’on touche à la grammaire, c’est alors la structure même de la pensée qui est en jeu.
La grammaire, c’est la syntaxe, et la syntaxe, ce n’est pas seulement ce qui permet l’expression adéquate de la pensée ; c’est ce qui permet la formation même de la pensée.
Par exemple : si l’on ne maîtrise pas bien les conjonctions de coordination (mais-ou-et-donc-or-ni-car), si l’on n’en connaît pas le sens, il y a fort à parier que l’on aura du mal à développer les liens logiques les plus courants. Une carence de syntaxe a donc des conséquences sur l’ensemble des activités intellectuelles, y compris les mathématiques.
Bref, on ne saurait trop souligner l’importance d’un apprentissage efficace de la grammaire et de l’orthographe.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
A l’école primaire, les nouveaux programmes de 2002 ont mis en place l’Observation réfléchie de la langue. Il s’agit d’enseigner l’orthographe, les conjugaisons et la grammaire de manière à en gommer l’aspect purement arbitraire, - en essayant de « donner du sens » aux nécessaires conventions du langage. C’est une idée intéressante.
Mais attention ! Il faut absolument que cet exercice soit accompagné d’un apprentissage systématique, progressif et exhaustif des conjugaisons et des règles de la grammaire de phrase. On ne peut en faire l’économie, ni se contenter de quelques « idées générales » sur la grammaire… La grammaire est un art qui consiste tout entier dans son exécution scrupuleuse par les élèves.
Le but de l’enseignement de la grammaire n’est pas que les élèves aient « compris le principe des conjugaisons » (quitte à ne les apprendre jamais), ou compris qu’il existait quelques exceptions au pluriel des noms en « ou » – sans jamais en connaître la liste : non ! le but est qu’ils sachent conjuguer correctement, le but est qu’ils connaissent les exceptions, et pas seulement une ou deux « pour le principe ».
Il est donc nécessaire à mon sens de réfléchir sur un bon équilibre entre la démarche de compréhension - qui « fasse sens pour les élèves » comme on dit dans les IUFM - et la démarche absolument nécessaire d’apprentissage systématique.
Sur ces questions, j’attends beaucoup de vos travaux, et je vous renouvelle ma confiance pleine et entière, au service de notre patrimoine le plus précieux : la langue française. Je vous remercie.