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Discours d'ouverture de Jack Lang
Ministre de l'Education nationale
Bernard Cerquiglini
Monsieur le Ministre, vous nous faites l'honneur d'ouvrir à nouveau notre journée d'étude. Nous vous en remercions: c'est une marque d'estime pour nos travaux. Cela traduit l'attachement que vous portez à cette grande “bataille” pour la lecture et la maîtrise de la langue que l'école de la République doit mener avec ardeur et pour laquelle il convient de former les maîtres.
Jack Lang
Si je me joins à vous, c'est d'abord pour vous exprimer un sentiment de grande gratitude. Depuis de nombreuses années, l'ONL se bat pour tenter de redonner toute sa place à la réflexion et à l'action pour l'écriture et la lecture. J'étais déjà parmi vous l'année dernière pour vous témoigner ma détermination. Je pense que nous avons progressé depuis. Nous avons en tout cas réussi à faire passer dans les consciences, sinon dans les textes, que notre langue est la colonne vertébrale de l'école. Pour chacun des maîtres de l'école maternelle ou primaire, son apprentissage doit être une priorité, qui ne doit pas être abandonnée. Pour ce travail, jamais inachevé, on ne doit pas craindre de s'obstiner, de s'entêter, de se répéter, en utilisant naturellement des méthodes pédagogiques qui permettent de donner à l'enfant l'envie de s'approprier notre langue nationale.
Le Recteur Philippe Joutard a présidé à la fois le groupe de travail sur la réforme des collèges et le groupe d'experts sur la rénovation des programmes de l'école. Je pense que cette unité est importante pour essayer d'établir cette cohérence si souvent souhaitée entre l'école et le collège.
Les nouveaux programmes ne constituent pas seulement un catalogue de notions, de thèmes ou de connaissances, un peu à l'image des programmes de 1923. Cette date peut vous paraître éloignée, mais aucun programme d'ampleur n'a été lancé depuis lors. Seulement quelques adaptations ou “effilochages” ont été effectués, sinon dans les textes, du moins dans la pratique. Les auteurs des nouveaux program-mes ont eu le souci de redonner un sens, une cohérence, un souffle à l'ensemble des textes.
Vous savez que les polémiques font volontiers rage à l'extérieur comme à l'intérieur de notre système d'ensei-gnement. Je ne m'en plains pas puisque je préfère un système dans lequel on s'étripe par passion plutôt qu'un système dans lequel on se résignerait par lassitude ou indifférence. Mieux vaut les polémiques que l'indifférence qui serait mortelle… Contrairement à ce que l'on a pu lire ici ou là, sous la plume de personnalités qui devraient normalement être animées par l'esprit de rigueur (“d'abord lire avant de commenter”, je crois que c'est ce que l'on apprend à l'école…), le temps consacré à l'apprentissage du français en tant que discipline particulière atteint 10 heures au cycle 2, 7heures 30 au cycle 3. L'horaire de langue française n'est donc nullement amputé, comme il l'avait été, sans vouloir polémiquer, par les modifications intervenues en 1985 et 1995.
L'autre originalité des programmes conçus par les experts, auxquels votre Observatoire a beaucoup contribué, consiste à indiquer qu'au sein des autres enseignements, la langue française a évidemment sa place. Les élèves devront lire et écrire chaque jour pendant deux heures à deux heures et demie. Le savoir lire et le savoir écrire doivent se travailler à tout moment de la vie de classe, en plus des horaires spécifiquement consacrés à l'apprentissage de la langue. Dans toutes les disciplines, la langue aura sa pleine place. C'est ce que nous avons appelé, en utilisant une expression qui n'est peut-être pas parfaite, la transversalité de la langue. En réalité, la langue est par essence pluridisciplinaire puisqu'elle est la clé d'accès, la matière des matières, la discipline des disciplines. Je ne veux naturellement pas sous-estimer les autres disciplines qui ont leur propre syntaxe, leur propre vocabulaire, parfois leur propre grammaire. Mais sans la langue nationale, point d'accès aux autres disciplines.
Les nouveaux programmes ont fixé à 13 heures, c'est-à-dire la moitié du temps de travail hebdomadaire, les activités d'écriture et de lecture qui devront être conduites au sein des apprentissages disciplinaires.
Ces programmes sont ambitieux. Certains diraient même peut-être qu'ils le sont trop. En tout cas, ils n'ont rien à voir avec ce que l'on a parfois appelé un “kit élémentaire de lecture et d'écriture” qui serait une sorte de “prêt-à-lire” comme on parle de “prêt-à-porter”. Le Conseil supérieur de l'éducation a approuvé à la quasi-unanimité ces textes, ce qui est plutôt rare. J'en profite pour féliciter les maîtres et leurs représentants qui ont fait le pari de l'ambition en soutenant ces programmes qui sont effectivement exigeants et qui vont représenter pour eux un effort non négligeable. Leurs organisations ont approuvé ces programmes après qu'une consultation sans précédent s'est déroulée dans toutes les écoles de France. Pendant une journée entière, les maîtres ont en effet été appelés à discuter, à confronter leurs idées, à transmettre leurs observations, critiques ou constructives. Cette consultation a été très utile. Elle a permis au Conseil national des programmes de percevoir un certain nombre de malentendus, d'expressions qui manquaient parfois de précision. Elle a donné naissance à une rédaction améliorée et rigoureuse qui permettra une meilleure appropriation par les maîtres dans la pratique quotidienne.
J'attire également votre attention sur la place accordée à la littérature dans les programmes.
Un programme constitue un idéal qui doit être atteint. Mais quelle méthode, quel accompagnement et quelle formation mettre en place pour parvenir au succès recherché? Nous touchons là une question extrêmement importante, à laquelle nous travaillons depuis un an et demie: il s'agit de la rénovation de la formation des maîtres. J'indiquerai dans les deux ou trois semaines qui viennent quelles seront les transformations apportées dans ce domaine. Ce sujet sera évoqué aujourd'hui. Il me semble que la formation à la maîtrise de la langue doit réussir à intégrer trois dimensions indissociables:
· une connaissance de l'environnement culturel de la langue;
· les moyens d'un apprentissage de la compréhension, qui comme vous le savez ne se réduit pas au seul “décodage”;
· une réflexion approfondie sur les méthodes d'apprentis-sage de ce “décodage” de la langue.
La formation doit s'attacher à explorer les diverses fonctions et formes de l'écrit ainsi que les diverses pratiques de la lecture, c'est-à-dire toute connaissance favorable à une bonne autonomie de lecture pour préparer l'entrée au collège.
Le futur maître doit également savoir comment on lit, comment on identifie les mots, comment on élabore le sens. Cela implique des connaissances théoriques, mais aussi pratiques, sur le développement cognitif et linguistique de l'enfant, une connaissance critique des outils utiles à ces apprentissages et une connaissance des méthodes ou démarches qui s'adapteront le mieux aux élèves dont il aura la charge. Enfin, comment l'apprentissage de la lecture pourrait-il omettre de prendre en compte la diversité linguistique et culturelle des environnements sociaux? C'est un point fondamental. La lecture n'est pas seulement un acte technique: c'est d'abord un acte profondément humain, culturel et affectif. Nous devons peut-être nous interroger encore et poursuivre nos recherches dans ce domaine.
Nos instituts de formation offrent un cadre intellectuel de haut niveau. C'est une bonne chose de les avoir placés sous le parrainage et l'animation des universités: il est normal que la formation des maîtres soit tirée vers le haut. De nombreux jeunes maîtres ou élèves ont cependant le sentiment de ne pas avoir été suffisamment préparés, de manière concrète, à l'apprentissage de la langue. Tout universitaire que je suis, si l'on me demandait demain d'apprendre à lire et à écrire, je m'en sentirais peu capable, voire incapable, n'ayant jamais appris comment enseigner la lecture et l'écriture. Cet apprentissage doit se préparer comme les autres. Il est vrai qu'il existe une part déterminante d'intuition, de découverte et de générosité. Malheureusement, l'apprentissage a parfois été réduit au minimum dans certains instituts.
Je n'en dirai pas davantage. Votre réunion est justement destinée à traiter de l'ensemble de ces sujets. J'aimerais connaître assez rapidement vos observations et remarques puisque nous sommes en train de préparer les programmes de la deuxième année de l'IUFM. Nous avons réellement besoin de vous. Plusieurs experts ont travaillé sur ces programmes, mais je souhaite qu'en temps, en intensité et en préoccupation constante, l'apprentissage à l'apprentissage de la langue française occupe une place de choix dans notre système de formation des maîtres. C'est déterminant si nous voulons gagner cette bataille, comme vous l'avez dit Monsieur le Président: c'est notre devoir absolu, quelles que soient nos responsabilités. Je compte beaucoup sur vous pour nous aider à élaborer les documents qui nous permettront de progresser.
Votre Observatoire peut également nous aider pour d'autres sujets. Je pense notamment à vos travaux en cours sur l'analyse des manuels d'apprentissage de la lecture et à ceux que vous poursuivez sur la littérature de jeunesse.
Je pense avoir résumé le message que je tenais à vous transmettre ce matin, en me réjouissant que vous soyez aussi nombreux pour confronter vos idées, réfléchir, partager la foi commune qui est la vôtre en faveur de la lecture et de l'écriture. Vous pouvez être assurés que vos rencontres seront pour nous un apport déterminant. Ce que vous avez entrepris depuis plusieurs années a contribué à nous éclairer, à nous faire progresser et à maintenir notre souci: que chaque enfant de ce pays puisse voyager dans notre langue comme il sait le faire aujourd'hui par le biais de l'Internet ou de jeux vidéos. Notre langue nationale, c'est notre maison commune. Il faut donc donner à l'enfant la clé d'accès à cette maison et faire en sorte qu'il s'y sente chez lui. Une partie des violences qui surviennent est due au sentiment qu'ont certains d'être écartés. Ils le ressentent comme une blessure, parfois même comme une infirmité, parce qu'ils n'ont pas eu la possibilité d'entrer dans la maison commune.