Mise en Images

L'illustration de Jean-Marc Rochette est remarquable, d'abord par la distance qu'elle établit avec le conte. L'histoire en images est racontée, à hauteur de lecteurs d'aujourd'hui, du point de vue d'un Petit Poucet drôle et malicieux qui se détache du groupe indifférencié de ses frères. Son œil rond prend à témoin le lecteur lorsque, loin derrière ses frères, il sème en chemin ses cailloux blancs, ou lorsque, deux pages plus loin, il resurgit, cette fois le premier du groupe, et le seul représenté, près de la maison paternelle.
Il promène ainsi sur le monde et les adultes un regard averti. L'ogresse est laide à souhait, l'ogre monstrueux comme il se doit, mais les courtisans de Versailles ne sont pas mieux lotis.
Cette impression de décalage pertinent vient aussi du choix opéré par l'illustrateur de ne pas traiter les faits et les personnages dans une dimension "réaliste". On pense, mais en contraste, aux illustrations de Gustave Doré, inspiré lui aussi par Le Petit Poucet, puisque 11 des 40 gravures créées pour l'édition Hetzel des contes de Perrault sont consacrées à notre histoire : ici la précision des détails, le traitement en noir et blanc, les effets de clair obscur ; en face, chez Jean-Marc Rochette, un traitement à larges coups de pinceaux, l'utilisation de la gamme entière des couleurs (le rouge de l'ogre, le bleu de la nuit, les vert et brun des bois diurnes, le noir de la forêt nocturne ...).Tantôt le dessin s'installe pleine page, tantôt il envahit la page voisine, pour signifier la peur dans la nuit, la course de l'ogre dans le petit matin. Des dessins à la plume viennent également ponctuer le récit.
C'est sûrement l'un des intérêts de cette lecture que de permettre la comparaison entre des styles aussi différents que ceux de Gustave Doré et Jean-Marc Rochette et de s'interroger sur les effets de dramatisation trouvés.