Enonciation

Mange-moi offre donc l'occasion de s'intéresser à l'organisation globale du texte théâtral (liste des personnages, découpage en " actes ", ici marqués par des titres, dialogue, didascalies, indications de temps et de lieu…) et, de manière plus précise, à la mise en œuvre du discours théâtral. Comment par exemple, lorsque le texte annonce une intervention collective ( " des enfants "), rendre compte de la distribution des " voix " à l'intérieur de l'acte premier, comment traduire, par la répartition de la parole et des rires entre plusieurs, la solitude du personnage principal au milieu du groupe hostile de ses condisciples. Ou bien encore l'inclusion d'une autre voix (celle de la mère, à travers la lettre lue). Ici, pas de commentaires d'un narrateur, l'énonciation est affaire d'intonations. D'intensité aussi : lorsqu'Alia se retrouve seule, quelle part du discours est interpellation d'un personnage caché pour l'instant, quelle part est monologue, a parte en direction du public ?
Un texte comme celui-ci oblige constamment à " négocier " les lectures qui en sont faites et les interprétations qu'on en donne. La lettre de la mère, qui déclenche les rires, est à ce titre exemplaire : il faut creuser sous les mots, sous le vernis des bons sentiments maternels, pour sonder l'absence et le vide affectif, et les compensations nécessaires. Le personnage principal, Alia, porte fort bien son nom, elle est " autre ", différente, rejetée comme telle, mais accueillante aussi aux rencontres extraordinaires, à commencer par cet ogre qui bouscule les représentations toutes faites.