Si besoin était, les enfants trouveraient dans l’illustration des pages 20 et 21 la représentation familière d’un processus auquel ils ont été eux-mêmes confrontés : trois photos reproduisent l’apparition, dans le pot de terre cuite, de la plantule (« le haricot a germé »), puis « deux feuilles vertes apparaissent, puis deux autres ». L’histoire se donne à lire comme une histoire simple, avec juste ce qu’il faut de charge émotive. C’est pourquoi elle peut être lue dès le plus jeune âge.
Mais sans doute faut-il se reporter au statut de ces illustrations pour apprécier leur apport au récit : ce sont des photos « de plateau », les traces d’un travail. Une « image de plateau » n’est pas simple illustration d’une mise en scène, elle doit en quelque sorte en condenser l’esprit, donner à comprendre ce que se passe en amont et en aval, d’un lieu à l’autre (pot de terre cuite sur la fenêtre, palier et rais de lumière, intérieurs et extérieurs…). La plongée de la page 5 sur la cage d’escalier et la silhouette frêle de la vieille dame nous invite à nous intéresser à la dynamique du récit en images.
D’abord le photographe joue sur l’alternance du noir et blanc et des couleurs. Noir et blanc des intérieurs, où jouent les ombres et les lumières (la séquence des pages 30 et 31 en souligne la valeur dramatique ) et où la gamme des gris se charge elle aussi d’effets. Couleurs atténuées des extérieurs (les parterres du jardin des Tuileries, la vitrine du fleuriste). Cette opposition n’a d’ailleurs rien de systématique : lorsque la plante est menacée (pages 51, 53, 55, 59) le noir et blanc réapparaît, en rupture avec la double page qui précède, au diapason de l’émotion éprouvée. Nous sommes donc plutôt du côté du rythme, dans l’alternance des moments de dilatation et de contraction imposés par le point de vue du narrateur.
L’image est tantôt cadrée pleine page, de manière « classique » (p.13, 39, 41, 57), le plus souvent elle déborde sur la page en face : page de gauche (P.6/7, 8/9, 14/15, 26/27, 28/29…) ou page de droite (p. 18/19, 22/23, 24/25…). Le lecteur est mis en situation de regarder la plante comme un être vivant avec les yeux de la vieille dame.
Outre la diversité ainsi apportée, cette autre manière d’alternance fait du texte d’accompagnement un redoublement tantôt « vertical » de ce que dit l’image, tantôt « horizontal » (il est placé au-dessus ou bien au-dessous de la photographie) . Une importance inattendue est donnée aux blancs de la mise en page, qui sont comme des plages de silence, de contemplation apaisée, de rêverie.
L’image (en couleurs) envahit l’espace de la double page 48/49 : moment le plus intense, de la découverte de la présence menaçante de « l’inspecteur à l’allure fort sévère » : plan d’ensemble sur la scène et ses personnages, du point de vue de la vieille dame, contre-champ en noir et blanc, à la page suivante, sur le visage angoissé.
Enfin, ces régularités sont traversées par quelques suites séquentielles (celle, déjà signalée, des pages 20 et 21, et surtout celles, plus construites, des pages 16 et 17, 30 et 31, qui débordent le texte et méritent d’être commentées.