Le texte de l'album en première lecture apparaît fonctionner de manière autonome par rapport à l'image. Il se lit alors comme le résumé de la biographie de Christophe Colomb. Cependant le point de vue adopté par Peter Sís est clairement affirmé dans l'intitulé en anglais "follow the dream" que l'on peut traduire par "suivre son rêve" mais il s'exprime aussi dans le texte et dans l'image.
• Pages 12-13 : opposition entre "Mais ce n'était pas l'avenir auquel il songeait. " et "Il rêvait des pays lointains qu'il avait découverts dans le Livre des Merveilles de Marco Polo." Les deux images en vis à vis sont construites selon le même plan : à gauche Christophe Colomb enfant, un grand livre sur les genoux, assis sur un tabouret beaucoup trop grand pour lui, face à un métier à tisser duquel sort une pièce de tissu bleu étoilé. Une bougie éclaire la scène d'une faible lumière projetant l'ombre de l'enfant sur le mur. Le mur de l'arrière plan est percé à gauche d'une fenêtre colorée de bleu - le ciel rejoignant la mer ? -. La deuxième image s'anime : de nombreux êtres échappés du Livre des Merveilles surgissent du sol devenu océan, dans le mur transformé en chaîne montagneuse traversée par la muraille de Chine ; la voûte céleste est habitée par des figures aux joues gonflées (les vents favorables à la navigation) tandis qu'apparaît en transparence autour de la fenêtre la silhouette d'un ange. Au centre le métier à tisser est devenu une caravelle commandée par le jeune Christophe Colomb, dans la même posture que précédemment mais le regard tourné vers le ciel ou vers la voile du même tissu que celui sorti du métier à tisser paternel.
Les valeurs du rêve se déclinent dans la suite de l'album, le projet prenant corps progressivement :
• Par des images séquentielles illustrant le texte. Le projet de Colomb se matérialise par une toile représentant un navire en regard d'un texte au conditionnel annonçant la traversée par l'Ouest.
• Par un triptyque dont la communication entre les parties se réalise par des portes, le trajet du regard suivant le parcours de Colomb (apprentissage des techniques de navigation, recherche d'un mécène).
• Une double page synthétisant les activités de Colomb (étudier, écrire, dessiner des cartes, naviguer) et son expérience de navigateur dans un planisphère symbolique en forme de nuage contenant les mers connues dont l'ouverture à gauche peut signifier cette route par l'ouest à explorer.
• Les pages 20 à 25 racontent et symbolisent les démarches de Colomb pour conquérir les esprits de son temps : ciel rougeoyant, trajectoires ascendantes (escaliers, montagnes à escalader) motifs de conquête.
• p26 à27 : du rêve à la réalité, les caravelles dessinées en coupe laissent place à une caravelle armée quittant le port.
• p28 à 33 : des images bleues s'accordent avec l'ambiance régnant sur les navires, espoir et détermination de Colomb, angoisse de l'équipage. La double
page 30-31 offre une mise en scène du journal de bord de Colomb.
• La double page 34-35 est construite sur le mode de l'antithèse : Colomb seul face aux Indigènes, opposé à la statue de Colomb juchée sur un obélisque dans toute sa gloire admirée par un groupe d'élèves et leur maîtresse ! Les textes jouent sur le registre du savoir acquis : méprise de Colomb qui ne saura jamais qu'il a découvert un autre continent alors que tout le monde aujourd'hui le reconnaît comme le découvreur de l'Amérique.
Les cadres : des "remarques marginales"
Le regard du lecteur est attiré par les cadres entourant l'image, ayant fonction de notations en marge, de modalisation de la signification du tableau, de "remarques marginales formant bastingage" comme on peut en trouver dans l'oeuvre d'Alechinsky :
• p9 frise de figures soufflantes et de nuages autour d'une scène de théâtre aux lourds rideaux s'ouvrant sur la ville de Gênes ;
• p10 un cadre représentant un mur d'enceinte épousant le contour de l'album de naissance dans lequel le fond étoilé alterne avec la muraille ;
• p16-17 le cadre change d'une page à l'autre, de la muraille à l'océan, de la terre ferme à la navigation ; frises de cavaliers au galop de soldats en armures, de têtes casquées, de personnages divers représentant les nombreuses démarches effectuées par Colomb pour gagner la confiance et convaincre l'opinion de la pertinence de son projet.
• p31-32 le cadre se fait mesure de la durée, cases numérotées entourant un journal de bord symbolique et en images de celui de C. Colomb ;
• p32-33 lettres de l'alphabet et numérotation donnent à voir, en marge, une sorte de rationalité dans l'aboutissement de ce rêve - le bout du tunnel pour trois caravelles au milieu de la nuit océane : terre en vue au-dessus de laquelle flotte une esquisse d'arc-en-ciel-.