L'énonciation

Dans le corps du récit, comme le chat noir au plan de la fable, le texte écrit constitue le fil conducteur de la déambulation dans les rues de la ville. Placé ou bien sous l'image, lorsque celle-ci s'étale sur une seule page, ou bien à gauche ou à droite lorsqu'elle envahit la double page, le texte reste bref, composé parfois de fragments elliptiques. La narration joue sur deux temps grammaticaux : l'imparfait des souvenirs et le présent de la redécouverte. Rien apparemment de compliqué.

En réalité l'appareil textuel est plus complexe qu'il n'y paraît et justifie plusieurs dispositifs de lecture, selon qu'on intègre ou non à la présentation de l'album la quatrième de couverture, la notice biographique et, surtout, la lettre à Madeleine qui, extérieure à l'histoire racontée, l'explicite et la justifie.
Trois ensembles composites (citation, notice explicative, " bande dessinée " et légendes des vignettes) viennent s'insérer à trois reprises dans le système énonciatif dominant pour raconter trois récits fondateurs, issus du patrimoine légendaire de la ville. Ils sont les témoignages d'une " culture partagée " au même titre que les monuments aperçus et les traditions évoquées.

Le récit lui-même met en scène un narrateur, qui interpelle, à l'incipit, cette Madeleine et qui dit " je ", ou bien " nous " lorsque le chat est partie prenante de l'énoncé. Ce narrateur prend la forme, dans l'image, d'un personnage masculin, costume sombre et écharpe blanche. Mais subsistent quelques ambiguïtés : " nous entamons la descente ", " notre maison " et "notre chat noir " ne peuvent être confondus avec " nos étés en ville ", " nous les garçons ", " nous sculptions des poupées miniatures.. " et " nous les enfants, nous guettions ici le défilé des apôtres .. ". Il faudra donc à plusieurs reprises se demander qui est ce " nous ".
Le pont Charles verra se croiser le narrateur adulte précédé de son chat noir et un chat blanc suivi d'un petit personnage, blanc lui aussi, figurant comme en creux le narrateur enfant. S'il scrute attentivement le cadran de l'horloge astronomique, il le verra poussant lui-même, sous les trois clés d'or du blason, les portes de la ville retrouvée. Et la dernière image, ouvrant sur l'intérieur familial et les ombres des parents, juxtapose l'ordre de la mère " Peter, va te laver les mains… " et l'invitation à Madeleine : " Madeleine, allons nous laver les mains, le dîner est servi ". La boucle se referme sur l'ambiguïté : Madeleine est-elle introduite au c½ur de la maison de l'enfance ? Sommes-nous revenus à la maison actuelle, celle de New -York, une fois les histoires lues et le livre refermé, une fois la réalité retrouvée ?.