Il s'agit là, au travers de la constellation "Personnage archétypal", de donner une représentation intéressante du personnage de l'ogre. Celui de cette histoire n'est pas décrit d'une manière précise. Son aspect physique est évoqué : "un œil comme une soupière", "le deuxième comme une marmite", "fit trembler la chambre", "fit trembler la maison" "la bouche comme une piscine", sa grosse voix". Sa fonction d'ogre, elle, ne sera affirmée qu'au travers de l'acte surprenant qu'il commet : "avaler" mais surtout "recracher" le bébé. L'horreur de l'acte "ogresque" se situe dans cette double ignominie et dans le fait qu'elle se répète tout au long "de la journée". Si l'on s'interroge sur la difficulté de présenter ce texte à des enfants, on pourra trouver des éléments de réponse dans cette citation de Nacer Khemir. « En 1984, j'ai publié un conte qui s'appelait Grand-père est né. C'est l'histoire d'un petit garçon qui raconte la naissance de son grand-père. Les instituteurs ne l'ont pas aimé, il est trop déroutant. Pourtant, on ne peut pas apprendre la liberté à un enfant sans le familiariser avec l'imaginaire, sans lui donner une liberté sur le langage, l'espace et le temps. La valeur de l'imaginaire, c'est qu'il vous affranchit de tout. Par cet affranchissement, l'être garde en lui assez d'humanité pour ne pas être totalement soumis. » (article de Télérama, Natacha Wolinski).
Il est également important d'avoir à l'esprit que ce conte fait partie de cette catégorie des "contes d'avertissement", textes où la mise en garde implicite n'a pas besoin d'être élucidée auprès de jeunes enfants car ils comprennent fort bien de quoi il est question. Dans cette histoire l'adulte monstrueux s'empare du corps d'un bébé, c'est sur cet interdit que s'élabore la construction du conte. La mise à distance s'opère également grâce à la structure répétitive du texte. Celle-ci permet une familiarisation progressive avec ce qui est dit. On pourra également observer que le système de défense du bébé est simple et qu'il règle rapidement l'empathie du lecteur pour ce personnage. Traditionnellement, c'est l'enfant victime qui parvient à vaincre l'ogre. Ici, le personnage du bébé s'efface au profit de celui de la mère, ce qui permet au conteur d'entraîner le lecteur sur d'autres pistes : celle des relations entre la femme et son mari et celle de la caractérisation de ce dernier personnage, présenté comme victime au début du conte : "le pauvre ouvrier" puis comme "bête et autoritaire".