Mise en images et mise en texte

A la différence des autres ouvrages d’Irmgard Lucht publiés précédemment à L’école des loisirs (par exemple, L’année des oiseaux ou L’année des arbres, 1976) qui privilégiaient le texte, Rouge coquelicot donne d’abord à voir un spectacle naturel largement déployé et c’est en termes de montage cinématographique qu’on peut décrire la succession des images, depuis le plan d’ensemble initial (le champ de seigle et les diverses cultures, la colline et ses lointains, le chemin au premier plan mouillé par l’averse) jusqu’au gros plan sur le pistil, en passant par les plans moyens et rapprochés, qui conduisent le regard au plus près du phénomène raconté, en passant aussi par quelques images séquentielles (pages 10 et 11, pages 12 et 13). Celles-ci juxtaposent, en une sorte d’accéléré, les phases les plus proches du cycle. Et puis les plans se dilatent (pages 20 et 21) et nous revenons au plan d’ensemble initial, mais transformé : du temps a passé, la moissonneuse-batteuse est en action, le lièvre du premier plan détale, la boucle est bouclée. Ajoutons qu’en fin d’album, une sorte de dossier reprend en très gros plans, en inserts des détails des images avec commentaires et explications. La dernière page explicite le travail du peintre et les techniques utilisées, techniques d’observation (la loupe binoculaire) et de mise en peinture (l’acrylique, les couches successives de lavis, l’éclaircissement par du blanc…) qui donnent tout leur éclat à ces « représentations ».
Car on ne doit jamais oublier, malgré la précision naturaliste, qu’il s’agit bien toujours d’une composition ordonnée par la visée documentaire. C’est le tableau d’un paysage où la présence humaine est signalée par les cultures, le matériel agricole, le village dans le lointain, les clôtures, la route et les véhicules qui y circulent, et le chemin vicinal, dont la rusticité mène néanmoins quelque part. Sous-tendant le tout, il y a la distinction à opérer entre nature et culture, entre vie sauvage (lièvre, insectes, perdrix..) et vie domestique, entre ce qui pousse « naturellement » (dont les coquelicots) et ce qui pousse à partir de semences distribuées par l’homme (dont le seigle).
Quelqu’un est donc responsable des images, le « narrateur visuel », comme l’appelle Isabelle Nières (dans la Revue des livres pour enfants, février 2004 ), à la fois peintre et observateur penché sur sa loupe. Le texte d’accompagnement donne à entendre sa « voix », une voix originale :

Le discours n’est donc pas anodin : il mêle la précision des détails évoqués à visée didactique, à une vision anthropomorphique (« Liseron et coquelicot sont venus d’eux-mêmes, avec un peu de sans-gêne. Et puis ? » -p.8-, les insectes butineurs sont des « gourmands » qui « se barbouillent » de pollen -p.15 et 16-) et à un regard poétique, esthétisant, sur les phénomènes naturels relatés.
Ces différents points de vue associés à un chronotope naturaliste caractérisent ce genre documentaire qu’on pourra rapprocher de récentes productions cinématographiques : Microcosmos ou Genesis de Claude Nuridsany et Marie Pérennou.