Du côté du lecteur
La compréhension de l’espace de l’action
Dans cet album, la représentation complète du château reste toujours difficile, l’auteur procédant par vues partielles des lieux où se situent les actions. Il s’agit d’un château moyenâgeux dont l’identification correcte peut nécessiter des activités ad hoc en classe, par exemple la fabrication d’une maquette. On pourrait aussi faire dessiner un plan plus général des lieux et s’interroger, par exemple, sur la situation du porche, de la tour, du donjon plusieurs fois cités dans le texte. Ainsi le lecteur pourra mieux imaginer les scènes successives et lever l’obstacle des vues partielles et des cadrages serrés qui augmente l’implicite.
Ce château est un espace culturel pas forcément partagé par tous les lecteurs. Pour étayer la compréhension de ces implicites culturels, il peut être intéressant d’apporter une iconographie du moyen-âge afin de mieux comprendre les codes de l’amour courtois. La page 13 notamment qui représente tous les personnages ensemble pourrait être travaillée à part, après lecture attentive du texte, sous forme de bulles de paroles que les élèves pourraient inventer puis venir placer sur les chevaliers. Sur cette même page fort riche, un des principaux obstacles à la compréhension fine du texte reste la disparition figurative du chevalier étincelant : on pourra demander grâce à un format A3 où se trouve le chevalier cabossé et ce qu’il pense.
Les valeurs attachées aux personnages
Une opposition centrale se dessine au fil de la lecture et nécessiterait des éclaircissements : elle concerne le contraste entre la princesse et les dames d’honneur fort stéréotypées, ce qui par différence fait ressortir le désir d’émancipation de la jeune princesse et son envie de se détacher du clinquant dans lequel les autres dames restent prisonnières. Une relecture d’ensemble du texte et des images permettrait de répondre à la question principale : comment sait-on que le chevalier cabossé sera l’heureux l’élu ? La réponse à cette question appelle une attention accrue aux détails précis du texte qui sont ensuite repris dans l’image. Une question plus fine porte sur la vérité par-delà les apparences, rien de moins. On sera ainsi amené à réfléchir au titre de cet ouvrage : chevalier étincelant alors que tout au long du livre le personnage est appelé chevalier « cabossé » : qui sera donc le chevalier étincelant ? La polysémie de l’adjectif mérite qu’on s’y arrête un instant. Par cela des comparaisons avec les autres chevaliers seront nécessaires. Il faudra par exemple expliquer le sens de leurs « yeux éteints ». L’opposition continue entre la jeune princesse et ses dames d’honneur nous met sur la voie d’un autre axe didactique : les valeurs qu’incarne la jeune fille. Son désir de s’émanciper du clinquant incarné par les autres chevaliers impose la figure d’une femme libre de ses choix amoureux.
De fait, la « brillance » s’avère un concept très polysémique : « seul le plus brillant des chevaliers sera digne de m’épouser », lance-t-elle et, en effet, le jeune élu de son c½ur s’imposera non par ses apparences extérieures mais par son rayonnement intérieur. On mesure ainsi les transformations importantes du Chevalier étincelant par rapport au récit canonique qui apparaît en filigrane dans cette histoire et qu’on peut déduire de l’ensemble des albums apparentés au nôtre. Cet album déçoit délibérément l’attente du lecteur et son système de valeurs guerrières attribuées traditionnellement au chevalier. Du moins, les nuance-t-il considérablement car l’inversion n’est pas totale ni absolue. Il faudrait pouvoir l’établir précisément en reprenant le récit pas à pas à partir d’une question initiale : comment la jeune princesse a-t-elle reconnu le prince cabossé dans le noir ?
Tout au long du récit, le dragon joue lui aussi un rôle qui mérite explication : est-il un animal simplement domestiqué ou un regard extérieur et ironique sur cette histoire ? On risquera l’interprétation selon laquelle il joue le rôle de médiation entre l’enfance et la vie adulte de la princesse en lui permettant de quitter l’enfance. Il se pourrait aussi que le chevalier ait nourri lui-même le dragon. La dernière double-page donne d’ailleurs la vision d’un vieux dragon qui semble raconter des histoires… de dragons.
Place de l’album dans une lecture en constellation centrée sur le système des personnages -Chevalier Princesse Dragon
Prince & Dragon, Anne Jonas et Emile Jadoul, Pastel, 2003.
Le chevalier, la princesse et le dragon, Orianne Lallemand et Magali Clavelet, Gautier-Languereau, 2005.
Le Chevalier étincelant, Carolyn Baker, Pastel, 1998.
Le Chevalier étincelant sera lu de préférence après les deux autres albums pour permettre par contraste d’apprécier le décalage avec l’archétype. La question centrale est bien celle du choix : qui choisit l’autre dans cette relation amoureuse aux accents fort modernes, et sur quels critères ? Cet album repose sur deux archétypes en réalité - la belle princesse et le chevalier - sont au centre de ce récit plus décalé que parodique. La conquête de la Belle par la figure masculine passe par une succession d’actions inversées par rapport au récit canonique. Les contrastes étant suffisamment forts, cet album peut aider à construire le personnage de la Belle et les valeurs qui y sont traditionnellement attachées. Le Chevalier étincelant permettra donc d’installer le récit canonique de la conquête de la belle, quelques références culturelles et les variations dans l’espace et le temps.
Last modified
2009-12-03 15:39