Jeu et jeux de langage

(du côté du lecteur)

Les catégories " poésie/prose ", et les représentations que les jeunes lecteurs peuvent avoir de celles-ci, sont quelque peu secouées par la lecture de ces textes. Mais la surprise est aussi l'occasion de s'interroger ensemble, sans parti pris, et d'avancer des remarques, des hypothèses, des propositions qui permettent de progresser dans le maillage du texte, d'écho en écho, de souvenir en souvenir, du texte d'ouverture au texte de clôture.


En s'aidant d'abord des caractéristiques visuelles du recueil, de la disposition des textes sur la page ou la double page, en observant le caractère compact de certains développements et l'allure plus aérée que d'autres prennent, avec les décrochements de la phrase, les blancs, les espacements, on aura observé qu'il est difficile de citer un fragment, car les segments débordent de partout. C'est donc sur l'ensemble d'un poème qu'il faut faire jouer les mots, les mots du quotidien, les pseudo-mots, les mots du monde savant, et c'est sur l'ensemble du recueil qu'il faut travailler l'axe " familier/étrange ", les va-et-vient entre le passé et le présent, entre la précision objective du dictionnaire et la tonalité intime du souvenir.

C’est aussi dans les ruptures syntaxiques, et l’agrammaticalité, que la poésie de James Sacré se développe. Revendiqué par l’auteur, ce parler qualifié de « gestes de langue » (1)  au plus près de ses origines vendéennes et mimant l’oralité de la syntaxe enfantine donne sa tonalité au poème. Cette apparente spontanéité cache un travail minutieux de réélaboration à partir de souvenirs imagés ou langagiers.

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(1)  (cité par Gwenaëlle Dubost dans l’étude qu’elle a présentée au colloque James Sacré - mai 2000, revue Triages, Tarabuste 2002),

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Mises en voix

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Avec les élèves, la perception des bizarreries grammaticales se fera principalement par et au cours des mises en voix : comment donner corps au poème, l’animer par le souffle et le son, mettre en évidence ses motifs, faire entendre l’hétérogénéité des  langages qu’il porte ? Le poème est subjectivité, se réalise et n’existe que dans l’intersubjectivité créée par le langage.  C’est dire que la poésie de James Sacré se prête à la multiplicité des mises en voix que le poète lui-même expérimente dans son travail.

Dans le numéro 114 du Français aujourd'hui : « Il y a poésie et poésie » (juin 1996) James Sacré (p.94 -100) livre quelques réflexions, sous le titre : " Déplier, replier le poème, l'abandonner, le ranger ".

La poésie ?: " … je n'y crois rien trouver qui serait une pureté, une authenticité, une immédiateté naturelle, une essence, un lien à la divinité, mais j'y veux vivre-écrire ce qui me pèse ou me poigne, ou me bouscule, ou ce qui résiste, ce qui fait peur ou ce qui permet que je sois avec les autres, avec le monde ou le langage. Affaire de style (gestes des mots) pour être avec l'ici-maintenant, avec là-bas hier ou demain… ". 

James Sacré y définit toute lecture comme " précaire essai de lecture " et regrette que la version ultime du poème ne retienne pas les " brouillons effacés ". " Dire le poème m'apprend d'abord que la poésie n'est pas affaire de perfectionnisme. Voulant donner à mon poème sa dimension orale, je m'aperçois soudain qu'elle m'échappe et que je ne maîtrise plus rien (pas grand chose en tout cas) dès que me voilà lisant… Il me semble que dire mon poème, c'est le reprendre, comme si je ne l'avais pas terminé encore et, dans cette intimité un instant retrouvée, cela, l'inflexion de ma voix, du rythme, autre chose sans doute, tout ce qui fait le " style " de ma diction (comme on pourrait parler du caractère de mon vocabulaire ou de l'allure de ma grammaire) rejoint un travail que j'ai déjà fait pour arranger  les mots en forme de vers : je veux dire ce travail avec toutes sortes d'hésitations, de reprises, de modifications par où est passé le poème (lesquelles ne sont plus visibles dans cette copie du texte que je lis maintenant). Lisant moi-même mon poème, je le retrouve ou le remets en somme à l'état de brouillon ".

Voilà qui devrait nous rassurer ! En désacralisant (sans jeu de mots) la diction poétique, il nous invite à prendre distance par rapport aux traditions pour tenter des lectures, chacune différente, comme autant de " précaires essais".

           - lecture collective du texte d'ouverture, cette kyrielle de noms d'insectes,
           - lecture alternée d'un texte long, apparemment prosaïque, d'analyse ou de description (texte sur le dictionnaire Larousse, sur les livrets N.Boubée et Cie, sur la destruction des nuisibles….) et un texte plus rapide, jouant à faire sonner les mots ( " Criocère corail au fond des lys… ", " Qui c'est qu'a peur des libellules ?… ", " On peut se rappeler l'éclat… ").

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