énonciation

(du côté du livre)

Il est donc question d'insectes, ceux que l'on observe "dans le clair de l'eau", "dans la fragilité fleurie des prairies", ou "sous la dernière gerbe", mais aussi dans les tableaux du dictionnaire Larousse "de mille neuf cent soixante trois, dans son quatorzième tirage", ceux encore que l'on épingle "dans la boite vitrée d'un matériel de collection", avec "les livrets N.Boubée et Cie" comme guide pour apprentis entomologistes.

Il est surtout question de mémoire, de souvenirs d'enfance, de temps qui passe, de poussière d'élytres, d'odeurs effacées, de présence maternelle, d'inquiétude face au monde.  De même que l'enfant tenait les insectes capturés "comme un trésor dans le noir de (son) poing fermé", de même "Le poème garde sa main fermée" pour retenir ce qui s'en va, se délite, s'efface.  Les mots même, "sans guère d'odeur", ne suffiraient pas à stimuler "l'attention au monde qui a changé", s'il n'y avait le travail d'écriture.

 Autrefois je les connaissais mieux. Tous

les noms de leurs corps d’insectes qu’on écri-

vait comme

         Au bout de longues épingles ;

         D’autres piqués dans ce qu’on allait

dessiner (cahier grand format, une page blan-

che, une quadrillée). Maintenant

         Les voilà qui sont du souvenir, si j’en

veux parler

         C’est plus que deux trois mots,

         La cétoine ou le calosome

Tout vite, et si le temps a brillé ?

Il faut le détour par le dictionnaire Larousse " de mille neuf cent soixante-trois, dans son quatorzième tirage ", par " la visibilité d'un ordre " qu'il affiche (en apparence) pour que " le reste pas prévu ", c'est à dire l'essentiel, se manifeste, le travail de mémoire, le rappel du passé le plus intime.
Le carabe doré, la cétoine, le criocère, le bupreste, la nèpe… sont du temps retrouvé, des gestes revécus :

 Comme je voudrais maintenant

         Que viennent des mots (de couleur ou

d’autre chose)

         Et que fasse un parterre de ces

mots : un poème, et comme

         Je découvrais les insectes dans mon

enfance.

Le procruste chagriné et le doryphore ne détournent pas de "toutes ces grandes questions qu'on s'est mal posées… Le sentiment, la mort, le monde et les gens…" et ce n'est pas "s'amuser" que de les évoquer :

 C’est-y s’amuser ? Les insectes sont

aussi du vivant, à l’écart des mots futiles.

Comme autant de questions ?

Il n'est jamais d'autre sujet, dans tout cela, que de dire l'enfant qu'on a été et l'homme qu'on est :

 Poussière d’élytres tas de syllabes,

         Anacoluthe Arégonde Eustère et tout

         Peine perdue de pas le croire, tu joues

         À transformer la bestiole et ton poème

en je.

Des poèmes qui disent " je ", qui disent " tu " aussi, avec des inflexions de familiarité, de complicité, dans une expérience partagée.