Se situer comme sujet culturel

 
 

(du côté du lecteur)          

  • En ce qui concerne le texte et sa présentation, l'intention et la réalisation, l'Alphabet des sables introduit à la diversité des références culturelles. Au plan de l'écriture, il fait surgir un autre système alphabétique, qui a son histoire, la richesse de ses réalisations, mais aussi son apprentissage : le sens de l'écriture, la forme des lettres, le rôle des accents… Une autre culture, portée par une autre écriture.

  • Au plan des histoires racontées, les rapprochements sont nombreux avec les fables de Kalila et Dimna (Ibn Al-Muqaffa Abd Allah, Alani Ghani, Ipomée Albin Michel, liste cycle 3 éducation nationale), bilingue français arabe, dans lesquelles, comme dans les fables de La Fontaine, les fabliaux, les héros sont le plus souvent des animaux. C'est aussi l'occasion de renverser les filiations établies et de montrer à quelles sources (antiques,orientales ou provinciales) s'est abreuvé notre fabuliste.Une fois acceptés le découpage du texte et le mode de lecture, il reste à s'interroger sur le choix des récits, leur organisation et leur signification.  Contes d'animaux ou histoires mettant en scène des personnages humains (on retrouve par exemple le personnage de Jha, héros complexe de nombreux récits orientaux, le naïf qui dévoile l'absurdité des comportements), ils prennent le plus souvent la forme d'apologues et décrivent un monde austère où les rapports de force sont à peine atténués par la ruse des plus faibles.  Ils n'ont pas d'origine marquée (la formule d'introduction "on raconte que dans les temps anciens..." a pour seule variante "un jour..." ou "une nuit...").  Ils sont comme tendus vers l'expression d'une sagesse lucide.  Ils évoquent le monde des sables, où chacun doit rester à sa place. 

  • L'alphabet des sables ouvre à la lecture des contes arabes, des autres récits de Nacer Khémir, comme L'Ogresse, ou ceux qu'on cherchera en bibliothèque, par exemple Chahrazade (Le Mascaret - 1988) ou Le Conte des conteurs (Editions La Découverte - 1984), construits sur le même principe d'un entrelacement des textes, des écritures manuelles et des dessins à la plume. C’est ainsi que la réédition en 2001, aux éditions La Découverte- Syros jeunesse, de L'Ogresse, publié en 1980 chez François Maspero, puis en livre de poche, a rendu à nouveau accessible le très stimulant travail d'écriture et d'illustration que Nacer Khemir a mené, avec l'aide de ses cinq soeurs, à partir des contes traditionnels que leur racontait leur mère, avec l'ambition de "transcrire" , comme il le dit dans son introduction, "un univers oral en univers plastique ". Les personnages prennent un relief saisissant dans le va-et-vient entre la version en langue française (et en écriture occidentale), les lettres arabes du texte d'origine et les illustrations d'une facture expressionniste, dans le redoublement du conte par la calligraphie "rustique" d'une écriture courante et les effets de dramatisation des dessins.
  • On pourra y ajouter pour une immersion plus complète dans la tradition et la culture arabe : le conte de Nacer Khemir J'avale le bébé du voisin, présenté sur ce site dans la constellation de « l’ogre », Le Livre des djinns, illustré par Esma Khemir, Syros Jeunesse 2002 et Le chant des génies Actes sud junior 2001, (liste cycle 3), des contes peuplés de génies dont Nacer Khemir dit dans la préface du Livre des Djinns : « Aujourd’hui tous sont peut-être encore autour de nous, et demain, l’un d’eux nous dira peut-être comme dans l’histoire : - Que veux-tu ? Parle, je suis prêt à t’obéir…- »
  • Cette ouverture à d'autres fonds traditionnels sera aussi, à terme, l'occasion de mettre en ordre les acquisitions culturelles, de réfléchir à la symbolique de l'animal, telle qu'elle se construit dans les fables et les contes, aux personnages archétypaux comme l’ogre ou le génie et aux valeurs portées par ces récits.