Avec l'album dit "abécédaire", l'image se fait berceau des lettres" écrivait Bruno Duborgel en 1983 (Imaginaire et pédagogie de l'iconoclasme scolaire à la culture des songes, Edition « Le Sourire qui mord ». Cf. Bibliothèques). Symbole de l'alphabétisation, l'abécédaire a transmis dès le XVème siècle les premiers rudiments d'enseignement de l'écriture et de la lecture. Aujourd'hui, il n'est plus un ouvrage scolaire mais sa force symbolique ne s'est pas éteinte dans la culture écrite actuelle.
Mettre en lien des ouvrages et des textes appartenant à ce genre proliférant répond non pas à un souci de collection mais à celui d'une refondation des gestes et postures du lecteur dans l'histoire de ses lectures. En effet, on constate que l'abécédaire se développe de façon tentaculaire, s'hybridant à d'autres genres, poésie, conte, documentaire, en s'adressant à un plus large public.
Usages différenciés de l'abécédaire
À l'âge de la maternelle, lire des abécédaires c'est entrer dans des rapports entre la lettre du texte, la référence portée par l'image et les représentations construites par le jeune enfant sur le monde, organisés par l'arbitraire du classement alphabétique. C'est entrer dans l'ordre des signes alphabétiques avant que d'en maîtriser les relations phonologiques, les significations linguistiques. C'est entrer dans l'ordre symbolique du monde représenté, en éprouver la sécurité et les contraintes, garanties par ceux qui en maîtrisent l'usage.
Si l'abécédaire continue d'assurer sa fonction historique d'apprentissage de l'alphabet et d'initiation aux relations phonographiques pour les plus jeunes lecteurs, il ne répond plus tout à fait aux critiques de Bruno Duborgel, à savoir de scléroser l'imaginaire enfantin. En effet, les auteurs produisent des images qui ne sont plus simplement des illustrations mais à l'instar des techniques oulipiennes, la contrainte développe des effets inattendus, surprend le lecteur par le contraste entre l'ordre alphabétique et l'espace interprétatif ouvert par l'image.
Du lecteur et des lectures
Ainsi du côté des lecteurs, la constellation se construira :
dans les jeux sur la langue et le langage : ABCD la belle Amédée ; De A à Zèbre : le grand voyage d'Adèle et Zorba…
dans des jeux sur le signifiant : ABC (Pittau et Gervais – Seuil)
dans les jeux sur les rapports texte, image : L’Abécédire (A. Serres, O. Taillec, L. Franey, Rue du monde), Le Zèle d'Alfred ( O. Douzou – Le Rouergue) …
- et plus généralement dans l'activité de réception lorsque le lecteur éclairé devient attentif à l'architecture du récit, à l'alchimie de la fiction : Atlas d’Orbae (François Place, Casterman).
Perspectives interprétatives
La constellation pourra être développée dans des perspectives croisées :
Activité du lecteur
Mais au delà de l'identification du genre, c'est l'activité du lecteur qui sera privilégiée :
construction des significations selon une dialectique de l'arbitraire du signe et de sa motivation (lettre figurée, lettre historiée, lettre image),
liberté du lecteur dans l'élaboration des significations pour faire vivre un monde structuré par l'ordre alphabétique,
lecture symbolique des univers figurés, des objets culturels choisis.
Progression
On pourra ainsi envisager une progression en spirale du cycle 1 au cycle 3 :
abécédaires du côté des relations phono-graphiques (didactique de la langue)
abécédaires en tant que mise en ordre ou de présentation des mondes (thématique, documentaire, recueil de contes)
abécédaires comme contrainte d'écriture poétique.
Chacune de ces voies ayant sa propre progression à l'intérieur des cycles et se combinant dans les ouvrages cités.